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7 mars 2015

Entre tradition et modernité - Le Devoir

Suggestion de lecture de Lise Forest
Source:  Le Devoir, 7 mars 2015



CENTENAIRE DES CERCLES DE FERMIÈRES

Entre tradition et modernité

7 mars 2015 | Micheline Dumont - Historienne | Actualités en société
La pratique de l’artisanat demeure l’activité principale dans les Cercles de fermières, où métiers et rouets continuent de fonctionner.
Photo: Caroline Montpetit Le DevoirLa pratique de l’artisanat demeure l’activité principale dans les Cercles de fermières, où métiers et rouets continuent de fonctionner.
La très grande majorité des associations féministes ou féminines du début du XXe siècle ont fini par disparaître. Les Cercles de fermières, eux, sont toujours là.
 
Les Cercles de fermières ont été fondés en 1915 par deux agronomes du ministère de l’Agriculture, Alphonse Désilets et Georges Bouchard, à Roberval et à Chicoutimi. Ils ont été créés à l’image des « Women’s Institutes » (1903), qui s’activaient au Canada anglais et avaient pour objectif de s’opposer à l’exode rural. À cette époque de première militance féministe, Georges Bouchard rassure : « Ceux qui craignent de voir leurs jeunes filles devenir des suffragettes ou des émancipées n’auront qu’à apprendre le fonctionnement des cercles pour voir leur objection se dissiper. » L’association est en effet étroitement dirigée par le ministère de l’Agriculture.
 
Rapidement, on utilise le concept d’agriculture féminine, en prônant l’aviculture, l’apiculture, l’horticulture. Leur popularité est immédiate et le mouvement se répand rapidement : en 1922, on compte déjà 70 cercles et plus de 2000 membres. Des subventions sont disponibles, en argent et en nature (oeufs, ruches, graines). On offre également des cours de cuisine et d’artisanat. Bientôt, en 1920, on publie une revue, La Bonne Fermière, qui paraît de 1920 à 1931 et où on trouve, à côté des articles pratiques, des propos opposés aux timides revendications féministes de l’époque : suffrage, droits civils des épouses.
 
Après un ralentissement notable causé par la crise économique, les activités reprennent de plus belle. Des techniciennes passent de cercle en cercle pour donner des cours ; on subventionne l’achat de métiers à tisser et de rouets, et le ministère procède à la création de fédérations, selon les régions agronomiques du Québec. Des concours (tissage, couture, tricot, broderie, courtepointes, crochet, biscuits, marinades, fleurs, etc.,) sont organisés dans chaque cercle, dont les lauréates se présentent au « Concours inter-cercles » de leur fédération, et finalement à la grande exposition provinciale de Québec. Ces concours constituent un élément d’émulation central, alors que le palmarès des cercles est publié chaque année.
 
Coup de tonnerre
 
Le ministère de l’Agriculture publie La Revue des fermières en 1941, qui devient La Terre et le Foyer en 1945. C’est dans cette revue qu’on trouve la liste des « concours » qui seront exigés aux expositions annuelles. La pratique de l’artisanat devient ainsi le centre d’intérêt principal. On compte 645 cercles et plus de 27 000 membres en 1940.
 
En 1944, coup de tonnerre : l’épiscopat publie un mandement incitant les Cercles de fermières à se dissoudre pour rejoindre plutôt Les Dames de l’UCC, modelée sur l’Union catholique des cultivateurs. Cette directive suscite inquiétude et colère et est suivie de diverses façons suivant l’humeur de chaque évêque ou aumônier. « Depuis que les femmes ont été gratifiées du droit de vote, explique l’un d’eux, le fait qu’elles soient organisées en cercles dépendant de l’État, comporte la possibilité qu’un gouvernement aux abois ou que des politiciens peu scrupuleux soient tentés de profiter de la situation pour influencer leurs votes. »
 
Les prêtres, eux, recourent à de discutables intimidations auprès des responsables : votre fils ne sera pas ordonné, la salle paroissiale n’est plus disponible, etc. Dans plusieurs diocèses, les souvenirs sont amers. Toujours est-il que de nombreux cercles quittent l’association, mais au moins 30 000 femmes (sur 49 000) refusent d’obéir. « Les évêques n’ont pas à se mêler de questions économiques », soutiennent-elles. Elles tiennent à l’encadrement des techniciennes et au soutien financier du ministère de l’Agriculture.
 
La nouvelle association Union catholique des fermières deviendra en 1958 l’Union catholique des femmes rurales, pour inclure les femmes qui ne sont pas des épouses de cultivateurs. L’Église suscitera en 1952 la création d’une autre association, rivale, les Cercles d’économie domestique, pour tenter d’entamer la clientèle urbanisée des Cercles de fermières, qui avait résisté à cette offensive. C’est pourquoi l’association des Cercles de fermières perd des membres et des cercles pendant une décennie.
 
Schisme
 
Au début des années 1960, les présidentes provinciales de ces trois associations féminines se rencontrent pour tenter de mettre en place une fusion de toutes ces associations. Rapidement, les Cercles de fermières, qui souhaitent fêter leur cinquantenaire, se retirent du processus. Les deux autres mettront en place en 1966 l’Association féminine d’éducation et d’action sociale : l’AFEAS.
 
Dès lors, ces deux regroupements vont se distinguer de plus en plus. Alors que l’AFEAS va évoluer vers un féminisme de plus en plus affirmé, les Cercles de fermières vont continuer d’exploiter le sillon qui leur a tant réussi, la pratique de l’artisanat, et de se tenir à l’écart du féminisme. On compte plus de 750 cercles au milieu des années 1960. Au moment de la création de la Fédération des femmes du Québec (FFQ), en 1966, les Cercles de fermières refusent de s’y associer, invoquant la non-confessionnalité du nouvel organisme pour refuser leur adhésion.
 
Un projet de vie
 
En 1968, les Cercles de fermières deviennent indépendants du ministère de l’Agriculture. Les responsables publient finalement une nouvelle revue en 1974, La Revue des fermières, devenue L’Actuelle. Ils achètent une maison à Longueuil où ils déposent leurs archives, tiennent leur réunion et planifient leur congrès annuel. Ils publient plusieurs livres de recettes (Qu’est-ce qu’on mange ?) qui ont été des succès de librairie. Les Cercles de fermières ont publié également, en 1990, Des femmes se racontent, où on présente les biographies des dirigeantes des années 1940 à 1990. L’épisode de la scission de 1944 et de 1952 y est présenté comme une épreuve douloureuse.
 
En lisant ces biographies, on constate qu’oeuvrer au sein des Cercles de fermières est devenu un projet de vie pour de nombreuses femmes. En 1980, les Cercles ont atteint le nombre assez exceptionnel de 78 000 membres, mais le nombre est maintenant tombé à 36 000 femmes, réparties dans 648 cercles, eux-mêmes rassemblés en 25 fédérations. Leur activité principale demeure la pratique de l’artisanat, et c’est dans leurs cercles que métiers et rouets continuent de fonctionner. Les Cercles de fermières ont maintenu vivante et dynamique une tradition d’artisanat qui continue de passionner des milliers de femmes.


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